Une étude publiée dans la revue Frontiers in Marine Sciences en juin 2019 révèle que selon un scénario de changement climatique dit de « laisser-faire » la biomasse et les captures de poissons pourraient respectivement augmenter de 22% et 7% d’ici la fin du siècle.
Ces résultats, a priori positifs, masquent néanmoins de grandes disparités spatiales (une diminution globale des captures à l’Ouest et de possibles augmentations à l’Est) et un important remaniement de la structure et du fonctionnement des écosystèmes de Méditerranée.
Contexte
Les océans font face aux dérèglements climatiques et les changements à venir affecteront l’ensemble des écosystèmes depuis la base de la chaîne alimentaire (e.g. plancton) jusqu’aux prédateurs supérieurs (e.g. poissons, céphalopodes).
La Méditerranée est un « hotspot » (point chaud) de la biodiversité mais compte également parmi les régions les plus affectées par le changement climatique. Elle se réchauffe en moyenne 25% plus vite que la moyenne de l’océan mondial. Elle est par ailleurs la zone la plus surpêchée au monde.
Les changements potentiels pour la fin du 21ème siècle
Carte des Captures 🎣
Diminution possible des captures à l’ouest et augmentation à l’est. Les zones géométriques correspondent aux unités de gestion des pêches.
Carte des Biomasses 🐟
Dans le sud-est de la Méditerranée : forte augmentation de la biomasse et des captures par la pêche
✅ Gagnants : les espèces exotiques et à affinité pour les eaux chaudes et les espèces de plus faibles niveaux trophiques (plus bas dans la chaîne alimentaire), qui sont généralement de petite taille.
🚫 Perdants : les espèces démersales (vivant proche du fond), les grands poissons pélagiques (vivant dans la colonne d’eau), généralement de taille importante et de niveaux trophiques supérieurs.
❓ Et le pêcheur dans tout ça ? Le potentiel de capture des pêcheurs à l’Est augmenterait dans le futur mais la composition des espèces capturées serait significativement modifiée. Les implications de tels changements sont difficiles à quantifier car ils impliqueraient de nouvelles espèces jusque-là pas ou peu exploitées et nécessiteraient donc de trouver de nouveaux marchés. Les pêcheurs à l’Ouest de la Méditerranée seraient globalement perdants avec une diminution des captures.
❓ L’augmentation de la part des petites espèces pélagiques dans l’écosystème est un facteur de risque supplémentaire dans le futur : En effet, celles-ci étant particulièrement sensibles aux variations environnementales, ceci conduirait potentiellement à un écosystème moins stable et de plus grandes fluctuations inter-annuelles des pêcheries qu’il supporte.
Trois modèles pour étudier l’impact du changement climatique et de la pêche sur l’écosystème méditerranéen
Les prédictions présentées dans cette étude sont réalisées grâce au couplage de trois modèles alliant considérations physiques, chimiques, biologiques et écologiques.
1️⃣ Modèle Climatique
Ce modèle reproduit les propriétés physiques (e.g. courant, température) et chimiques (e.g. salinité) de la Méditerranée. Les changements de ces propriétés ont été projetés selon le scénario d’émissions de gaz à effet de serre le plus pessimiste, dit de laisser faire (RCP 8.5)
2️⃣ Modèle Plancton
Ce modèle reproduit la dynamique et la production dans le temps et l’espace du plancton en Méditerranée, en considérant différentes classes de phytoplancton (production primaire) et de zooplancton. Ce modèle « plancton » est lié au modèle climatique, permettant ainsi de représenter l’impact de l’environnement sur leur dynamique
3️⃣ Modèle chaîne alimentaire
Ce modèle décrit les chaînes alimentaires reliant les espèces de Méditerranée et représente ainsi les dynamiques entre proies et prédateurs (du plancton aux requins). Il prend également en compte le cycle de vie et la distribution spatiale des espèces. Il est étroitement lié au modèle climatique et au modèle plancton.
Le couplage de ces différents modèles permet de représenter l’influence de processus à différentes échelles biologiques les uns sur les autres.
Implications
Une gestion adaptative des pêches permettrait de mieux se préparer aux conséquences du changement climatique.
Une gestion spatialisée et collaborative de l’ensemble des états du bassin méditerranéen permettrait de limiter les effets du changement climatique et d’offrir de nouvelles opportunités pour les pêcheries.
Fabien Moullec, docteur en biologie marine, a réalisé cette étude dans le cadre de sa thèse à l’Université de Montpellier et en collaboration avec l’IRD (Institut de Recherche et Développement). Il est actuellement chercheur en postdoctorat à l’Université de Hambourg en Allemagne. @MoullecFabien