Une étude publiée dans la revue ECOLOGICAL INDICATORS en 2021 suggère que l’utilisation de petits traceurs GPS par les pêcheurs artisans peut aider à mieux évaluer l’intensité de la pêche côtière et sa distribution à très fine échelle.
Ce suivi volontaire, basé sur une collaboration avec les pêcheurs, génère une grande quantité d’informations, qu’il faut stocker puis analyser. L’article propose ainsi un outil capable d’analyser automatiquement les trajectoires GPS de pirogues à Madagascar pour identifier leur position au moment de l’activité de pêche, ouvrant la voie à l’utilisation de ce type de dispositif dans d’autres contextes de petites pêcheries.
Contexte
Les pêcheries artisanales (ou petites pêcheries) sont globalement moins bien suivies par les scientifiques que les activités de pêche industrielle. Les difficultés tiennent en partie au manque d’équipement électronique et aux contraintes pratiques du travail à bord des embarcations, notamment les plus petites, dans les pays les moins développés. La mise sur le marché de petits traceurs GPS bon marché (environ 100 €) depuis une dizaine d’années représente une réelle opportunité pour localiser les activités de pêche artisanale. Via l’implication des communautés locales et une coopération avec les petits pêcheurs à Madagascar, où l’étude a été conduite, les auteurs ont pu collecter une quantité importante de données sur leurs déplacements dans les écosystèmes coralliens et développer une méthode efficace pour quantifier et cartographier l’intensité de pêche.
Un analyse à fine échelle de l’activité des bateaux artisanaux
Dans la baie de Toliara dans le sud-ouest de Madagascar, les chercheurs ont équipé de GPS des embarcations de pêche côtière traditionnelles et non motorisées, sélectionnées pour représenter le mieux possible les pêcheries locales. Les embarcations retenues regroupaient cinq pratiques de pêche différentes : la senne de plage, le filet maillant, la ligne à main et le fusil-harpon, qui ciblent une énorme diversité de poissons (plusieurs centaines d’espèces !).
Analysées grâce à des méthodes d’estimation automatique basées sur du machine learning (ou, apprentissage automatique) les positions GPS permettent pour un bateau suivi de localiser les zones fréquentées, déterminer les activités réalisées (pêche ou autre) tout au long d’une sortie en mer, et ainsi quantifier précisément le temps effectif passé à pêcher. La haute résolution spatiale (de l’ordre de quelques dizaines de mètres) et temporelle (quelques minutes) de ces enregistrements est adaptée à l’échelle des pratiques de pêche dans la zone.
A l’échelle de l’ensemble des embarcations suivies, cette approche permet de caractériser l’utilisation de l’espace propres à chacun de ces 5 engins en termes d’éloignement des zones de pêche vis-à-vis du site de débarquement, d’étendue de celles-ci ou encore de concentration de l’intensité de pêche dans le temps et l’espace. Ainsi, les pêcheurs parcourent généralement une distance de plusieurs km en fonction des vents sud-ouest dominants et de l’habitat marin ciblé (fonds meubles, herbiers ou récifs), et exploitent la quasi-totalité de la baie (157 km²).
- Une méthode validée sur le terrain : les activités et temps de pêche estimés par machine learning s’avèrent proches des diagnostiques réalisés par des observateurs embarqués pour plusieurs engins de pêche.
- Vers un suivi en continue dans le temps et dans l’espace des pêcheries artisanales. L’analyse des données de trajectoire permise par cette nouvelle approche permet un gain de temps considérable comparé aux études habituellement menées localement et ponctuellement par des observateurs embarqués. Ceci rend à long terme envisageable un suivi des pêcheries artisanales des pêcheries à Madagascar par cette méthode.
- Des défis technologiques, financiers et sociologiques à relever : Le coût de ces suivis ne doit cependant pas être sous-estimé, tant dans le dispositif de collecte de données lui-même que dans la bancarisation. L’analyse de ces données requiert également des compétences d’analyse spécifiques. Enfin, la communication (objectifs de l’étude, restitution des résultats etc) auprès des pêcheurs demeure essentielle dans cette approche puisque celle-ci repose sur l‘engagement de ces derniers pour participer à l’échantillonnage.
Une méthode innovante pour identifier l’activité de pêche : le « machine learning »
La méthode d’estimation des activités de pêche dans l’espace et le temps repose sur la détection de patrons particuliers dans les trajectoires. L’espacement entre les points GPS, leur alignement et leur distance au village varie au cours de la sortie en mer. La distance entre les points reflète la vitesse du bateau et le type d’activité. Par ailleurs, les trajectoires des pirogues ont une forme géométrique caractéristique de l’engin de pêche utilisé.
La méthode de machine learning repose sur 3 étapes clefs :
1️⃣ Apprentissage
Le modèle doit être calibré pour chaque engin utilisé, ce qui demande de coupler le suivi par GPS avec des observations des activités à bord pendant quelques sorties (une dizaine dans la présente étude). La méthode d’apprentissage automatique utilise un ensemble de méthodes statistiques pour identifier des patrons de trajectoires spécifiques et les relier aux activités observées sur le terrain.
2️⃣ Estimation
Estimation : Une fois calibré, l’outil est capable d’utiliser les informations recueillies pendant la phase d’apprentissage pour identifier les activités de pêche réalisées par les embarcations à partir de leurs seules positions GPS.
3️⃣ Validation
Un nombre restreint de sorties en mer pour lesquelles sont disponibles des trajectoires GPS et des observations de terrain sont utilisées pour tester la performance du modèle. Les trajectoires GPS sont analysées par le modèle et les activités prédites sont comparées à celles observées pour estimer la marge d’erreur de la prédiction.
Implications
Le suivi des navires de pêche artisanaux par GPS permet de mieux estimer la pression de pêche exercée sur les ressources exploitées dans ces petites pêcheries. Elle peut jeter les bases d’une gestion spatialisée et collaborative de ces pêcheries, par exemple pour évaluer l’effet de réserves marines ou localiser des zones côtières sensibles (utilisées par d’autres usagers ou par les espèces exploitées à certains moments de leur cycle de vie).
Un dispositif pilote est expérimenté avec succès depuis 2018 dans le sud-ouest de Madagascar auprès d’une centaine de pêcheurs.
L’auteur principal : Faustinato Behivoke. Docteur en halieutique, Faustinato a réalisé cette étude dans le cadre de sa thèse à l’Institut Halieutique et des Sciences Marines de l’Université de Toliara, à Madagascar. Il est actuellement consultant.
Le membre de l’AFH, coauteur : Marc Leopold. Marc est ingénieur de recherche à l’IRD et au sein de l’UMR ENTROPIE. Co-encadrant de ce projet, il étudie la gestion et la gouvernance des petites pêcheries dans les pays du Sud.
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